Avec Heritage, Mark de Clive-Lowe livre le fruit de ses entrailles

Partager

Avec les années, le musicien sent toujours plus ses origines japonaises au fond de lui. Il a voulu les mettre en avant dans son nouveau double-album.

«Plus jeune, je rêvais de devenir un typique musicien de jazz acoustique, se souvient Mark de Clive-Lowe. Mais c’était une illusion. Car c’est de la musique afro-américaine et je ne suis pas Afro-Américain. Quand tu écoutes Miles Davis ou Charlie Parker, leur musique est pleine de leur histoire. Alors je me suis demandé quelle était mon histoire à moi.» C’est en partant de ce questionnement que la relation avec les origines japonaises de sa mère est devenue toujours plus forte. Et pour la comprendre, impossible de ne pas procéder de manière chronologique. Car tout gosse déjà, il allait régulièrement en vacances au Japon, pour y voir sa famille. Il y a même poursuivi ses études de 15 à 18 ans, entre 1990 et 1992. Une période dont le musicien garde un excellent souvenir. «A Tokyo, il y avait déjà plus de 60 clubs de jazz, s’enthousiasme-t-il. Et j’étais plus souvent là-bas qu’aux cours.»

 

De retour dans sa Nouvelle-Zélande natale après ses années nippones, Mark y ressent un fort besoin de quitter un contexte musicalement trop étriqué pour lui. «Il fallait que je parte, se rapelle-t-il. C’était avant l’arrivée d’Internet et de l’ouverture au monde que cela peut apporter. Il y avait un tout petit nombre de musiciens et encore moins de musiciens plus âgés.» C’est ainsi qu’à 24 ans, en 1998, il s’installe à Londres après un tour du monde d’une année. Il y découvre notamment la musique électronique, un aspect devenu incontournable dans sa musique. «J’étais fan de jungle et de drum and bass», indique le désormais quadragénaire.

 

Dix ans sans piano

Durant ses dix années dans la capitale anglaise, Mark s’adonne au beatmaking et au synthétiseur, interrompant complètement sa relation compliquée avec le piano, entamée à l’âge de 4 ans. «Ce sont deux instruments totalement différents, précise-t-il. Quand j’avais 11 ans, en Nouvelle-Zélande, tous mes copains arrêtaient la musique pour se consacrer au sport. Et je voulais faire pareil. Je rentrais à la maison en hurlant à mes parents que je ne voulais plus faire de piano, que je détestais ça.» Mais à chaque fois, son père lui répondait simplement d’aller s’exercer à son instrument. Et il s’exécutait sagement. «Maintenant, je lui suis très reconnaissant, admet-il. Car j’en ai fait ma vie. De plus, j’aurais probablement été un moins bon sportif que le musicien que je suis devenu.» Et il se marre.

 

Cet amour pour le piano jamais né jusque-là pointe enfin le bout de son nez quand Mark déménage à Los Angeles, il y a dix ans. «Là-bas, la chanteuse et songwriter Nia Andrews m’a demandé de jouer du piano pour elle, raconte-t-il. Je lui ai répondu que mon instrument était le synthétiseur. Mais elle a insisté. Pendant toutes ces années, j’avais clairement perdu en technique. Mais en tant que producteur, j’avais développé d’autres qualités. Je ne jouais finalement plus pour l’ego, mais pour que ça sonne bien!»

 

Une quête et un aboutissement

Ainsi réconcilié avec le piano, Mark a continué à s’intéresser toujours plus à son propre héritage culturel. «En fait, mon côté néozélandais n’en est pas vraiment un, souligne-t-il. C’est un mélange d’européens arrivés là-bas il y a trois générations. Alors que mes origines japonaises, elles, sont très marquées. Et cette connexion est devenue toujours de plus en plus forte pour moi. C’est ainsi que j’ai commencé à me demander comment relier tout ce ressenti et tous ces souvenirs à mon art.»

 

Et son double-album Heritage est l’aboutissement de cette recherche, de cette quête même. «On y trouve les influences de la musique traditionnelle et folklorique japonaise, tant au niveau des codes suivis dans la construction des morceaux que dans l’énergie émotionnelle qui s’en dégage», explique Mark. On peut voir Heritage comme un double-album. Mais malgré un nom commun, ce sont deux disques bien différents pour le musicien. Ils sont d’ailleurs sortis à deux mois d’intervalle, le 8 février et le 5 avril 2019. «Car je ne possède aucun double-album dont j’écoute les deux disques à la suite, note-t-il. Là, j’avais envie de donner la possibilité de digérer le premier, plus méditatif, avant d’écouter le second.» Et, parole de profane, c’est plutôt réussi, surtout en voyant l’accueil réservé à Mark de Clive-Lowe par le public du Cully Jazz Festival, samedi soir au Club!

Posté par Mirko Martino
dimanche 14 avril 2019
Catégories
Blabla