Samedi 28 août: le film de l’après-midi, le showman, la claque parisienne et la sieste.
Le week-end franchement attaqué, on passe aux choses sérieuses. Du pain sur la planche en ce samedi pluvieux, quatre concerts à enchaîner et une nuit humide et froide à digérer. Rien de tel qu’un petit déj aux alentours de midi devant un groupe recruté pour jouer des standards durant tout le festival sous la tente restaurant, histoire de se remettre d’aplomb.
À 14 heures, on y retourne. Ils sont beaucoup sur scène, leur projet s’appelle Force Majeure, le leader est Felix Profos. Inconnu au bataillon ? Normal, il sort pas vraiment de la famille jazz, mais de la musique contemporaine. Une bonne idée ? Il a lui aussi recruté deux contrebasses, deux saxos, une pianiste (Vera Kappeler, seule tête connue de la troupe) et un batteur pour jouer ses compositions. La salle est un peu plus remplie que les jours précédents. Dehors, la météo reste capricieuse (voire dégueulasse), dedans, c’est chaud et moite. En fait, c’est le film du samedi après-midi. Vous savez, celui qu’on va voir quand on a rien d’autre à faire, par ces jours pluvieux de légère gueule de bois, où le trajet jusqu’au cinéma vous trempe jusqu’aux os et vous fait vous recroqueviller sur votre siège pour essayer de laisser les habits sécher sur la bête tant bien que mal. Exactement comme ça: on se laisse complètement sortir de la réalité et on se fait emmener par les images qui se déroulent devant soi. Splendide moment ! Le volume est douillet lui aussi, et l’utilisation que fait Felix Profos de chaque instrument à sa disposition est parfaitement intelligente et délicate. Le programme est donné en début de set, neuf titres aux noms évocateurs comme Dorf, Dunkles Hotel ou Medizin. Une réussite totale à mon goût, qui n’est pas partagé par la délégation vaudoise débarquée dans la matinée. Pour une fois, tant pis pour eux et tant mieux pour moi !
La star de la fin d’après-midi s’appelle Robert Glasper. Il est jeune, talentueux, pianiste, new-yorkais, a bonne presse et débarque sur scène répondant à son iPhone d’une main, buvant une bouteille de blanc au goulot de l’autre. Même si ce deuxième geste exclu immédiatement et sans révocation envisageable toute possibilité de l’inviter en Lavaux, on écoute quand même, par politesse. Et puis, on s’endort. Parce qu’à part le show, il ne se passe pas grand chose sur scène, peu d’écoute au sein du trio et peu de relief dans les morceaux. L’entertainement à l’américaine ça va dix minutes, mais à la cinquième sommation d’acheter son disque (qui d’ailleurs est sorti sur Blue Note, merci de la précision) on repique du nez. Chiant.
Après deux heures de pause et un curry rouge, on revient dans la salle pour se prendre la baffe la plus majestueuse du festival. Le bourreau s’appelle Emile Parisien (ne cherchez pas son origine trop loin), et il a recruté son quartette pour faire boucherie pendant une heure et demie. Tout l’héritage free est appelé à témoin, avec une halte un peu plus longue chez Coltrane et ses potes. Tout est basé en crescendo, rythmiquement c’est absolument fascinant, et au niveau de l’énergie dépensée c’est incomparable aux pâles concerts d’ouvertures du mercredi soir. À l’écoute de ce concert et à la réaction du public, on réalise à quel point Niklaus Troxler a fait un boulot admirable dans cette bourgade lucernoise: plus que simplement supporter et juger patiemment la prestation, le public adore et adhère plein pot. Emile Parisien s’essaye en anglais pour présenter ses musiciens et les titres tarabiscotés de ses compositions, à la deuxième intervention ces braves suisse-allemands hurlent « En français ! » tellement son accent est imbuvable. On le lui pardonne, ceci et même plus lorsqu’on assiste à cette déflagration scénique géniale qui ose jusqu’à reprendre une miette de Tristan et Iseut, excusez du peu. Standing ovation. Les français n’en reviennent pas, mais reviennent quand même en faire une. Le moment de folie du festival, incontestablement !
Après ça, difficile de reprendre les planches. Je pense que n’importe quelle formation aurait fait l’effet d’un pétard mouillé en lieu et place de Science Fiction Theater, pas de bol, c’est eux qui s’y sont collé. Pourtant, c’était loin d’être mal parti. Le programme m’avait mis l’eau à la bouche, et en réalité j’en attendais plus d’eux que des parisiens. Aux premières notes j’ai commencé à me dire que ça serait le couronnement de cette chouette journée, la troisième découverte qui allait supplanter les deux premières. C’est rock, c’est inspiré musiques de films, c’est assez énergique et surtout ça sonne enfin décomplexé, sans peur de faire des choses efficaces mais simples juste pour le fun. Et en plus, le bassiste a un t-shirt du For Noise. Alors quoi ? Je pense d’abord à un nouveau Sacre du Tympan formule réduite et efficacement épurée, mais après deux morceaux ça retombe comme un soufflé au fromage sorti du four. Le tout manque de relief et de clarté, le son est brouillon et à part la basse assez claquante pour se démarquer du lot, le reste se coupe un peu les fréquences et ressort mal. Les structures sont rigides et assez rapidement lassantes, et là ou un Fred Pallem s’autoriserait n’importe quel solo ou bridge pour laisser une émotion s’épancher complètement, ici on s’enferme dans la crainte de ne pas en faire assez. Paradoxe qui fout tout en l’air, le résultat est décalé et ne réussi pas à tenir l’oreille aux aguets. Faut dire qu’après la déflagration qu’on s’est pris dans la tronche en première partie de soirée, notre oreille n’a plus envie de grand chose d’autre que le doux bruit des gouttes de pluie sur la toile de tente.