Willisau 2010, mercredi 25 août

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Mercredi 25 août: baptême du feu pour la relève et peurs.

Milieu de semaine. Train pendulaire hyperclimatisé qui ramène les gens fatigués chez eux, dans l’arrière pays. J’ai trois sacs et de quoi tenir la fin de la semaine, matériel de spéléo et de plongée inclus. La tente est plantée de manière professionnelle en cinq minutes, et la wurst gobée en un temps record grâce à l’aide d’une énorme bière de mouture locale. On est posés, ça peut commencer.

On s’en rend pas compte depuis l’extérieur comme ça, mais cette 36ème édition de festival, c’est une petite révolution dans le Napf: le festival est né il y a 35 ans des blanches mains d’un certain Niklaus Troxler (dont j’ai déjà parlé d’ailleurs), qui s’est occupé jusqu’à l’année passée de l’exhaustif de la programmation, et donc de la ligne directrice et artistique de toute la manifestation. L’année passée, ciao bonne. Il a remis les clés à son neveu, un certain Arno, qu’on connait pas trop mal depuis quelques temps grâce à ses qualités d’excellent batteur, mais qui doit faire ses armes depuis son bureau de programmateur.
Lorsqu’il débarque sur scène pour présenter le premier groupe donc, l’émotion est palpable. Je m’apprête à avoir un résumé succinct de son curiculum vitae et me voir exposer en 16 points la raison de sa joie présente d’être sur scène pour nous grüetzier à tout va, mais c’est mal connaître les habitudes de la maison: deux phrases, pas une de plus. « Bienvenue au 36ème jazz festival de Willisau. Ça me fait plaisir de commencer avec le Mary Halvorson Trio. » Et de nous présenter tout sec les 3 musiciens qui entrent sur scène pour commencer à jouer.

Et c’est là que je comprends l’astuce, suivez bien: histoire de faire les choses en douceur, le neveu a invité en ouverture la formation d’une guitariste new-yorkaise qui se trouvait… sur la même scène l’année passée, en clôture du dernier festival de son tonton. Mary Halvorson croisait le fer avec Marc Ribot dans son projet Sun Ship (mais si, rappelez-vous), elle est maintenant avec son propre trio pour nous montrer ce qu’on sait faire quand on a 28 ans.
La réponse: pas grand chose. Le programme nous promettait un fin mélange de nu-jazz new yorkais avec du rock expérimental, j’y vois surtout une sacrée soupe de free mal maîtrisé.  Pas facile de se rendre à Willisau géographiquement, pas facile de rester concentré pour ce premier set. Et surtout, cette question qui me terrorise: comment vais-je pouvoir tenir 5 jours de festival avec un backdrop aussi atroce devant les yeux ? L’op-art est de retour, les amis ! Ce trou noir dans l’histoire de l’art qui n’a plu qu’à des babas sur le retour dans les décennies où on consommait un peu trop, et qui devrait rester confiné aux réserves des institutions dont c’est le boulot de le confiner, le voilà revenu en fond de scène pour nous vriller les yeux. Tentative ratée de rester cohérent avec l’affiche et avec les structures du reste de la salle, tout est lignes et points géométrisés à outrance, à vous bousiller les prunelles et faire penser qu’on a placé un immense radiateur sur la scène parce qu’il fait trop froid. Et si je peux critiquer, c’est parce que je sais que le graphisme est une tradition qui remonte aussi loin que le jazz, à Willisau. Bref, l’entrée en matière est ratée.

Le second groupe de la soirée est précédé dans mes neurones par sa réputation: Phall Fatale, j’en ai beaucoup entendu parlé en capitale, et j’en attends un réconfort bien mérité. Le line-up a tout pour séduire, avec deux contrebasses (il faut le voir et surtout l’entendre pour le croire), deux vocalistes qui aiment faire joujou avec l’électro et les clavier vintages, et surtout, au centre, Fredy Studer aux fûts, sorte de superstar alémanique de la batterie assez fou et courageux pour monter des projets électro jazz avec les Young Gods (entre autres).
L’intro est assurée par les grands-mères, à l’archet. La salle menace de s’effondrer et l’ambiance est bonne. Monsieur Studer est à la hauteur de son succès, et sans payer de mine mais avec de véritables barres à mine à la place des bras, il propulse la formation dans des frénésies frôlant la drum’n’bass de bon tonneau qui ne déplaît nullement. Devant, ça se gâte un petit peu: Joy Frempong (que je n’adule vraiment pas de base) s’est simplement dédoublée, et son acolyte souffre du même problème que le sien: celui de gâcher son savoir faire en étirant l’expérimentation de manière totalement inutile et en se perdant dans d’interminables démonstrations de technicité qui gomment tout sens et tout plaisir.

Un petit zoom en arrière, et je m’aperçois qu’en réalité c’est le seul constat à faire pour l’ensemble de cette première soirée: Symptomatique d’une école de jazz relativement jeune qui cherche avant tout à faire ses preuves et innover sans s’interroger sur le sens de le faire, tous ces excellents musiciens gâchent des idées pourtant très séduisantes en voulant inutilement prouver une maturité précoce à l’aide d’un discours mal maitrisé de bruitisme et de pseudo free jazz expérimental. Dommage, deux fois dommage pour ces deux groupes d’ouverture. Mais rassurez vous, j’ai bien dormi quand même.

La suite c’est jeudi et c’est par là

Posté par Bureau
mercredi 1 septembre 2010
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