CosmoJazz: on a testé pour vous

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Question: que fait la programmatrice d’un festival de jazz annuel pour s’occuper le reste du temps ?

Réponse: elle programme un autre festival de jazz.

Elle nous en avait parlé comme une petite fille viendrait vous expliquer ce qu’elle a reçu pour Noël. On répondait « oui… oui… » en regardant ailleurs, mais en fait on savait très bien ce que ça donnerait. Parce que quand Carine décide de faire quelque chose, c’est un peu comme quand une décision est prise par les vignerons du village ou le club de foot: vous pouvez toujours courir pour y changer quoi que ce soit.

Bref résumé de la situation: un certain André Manoukian (à peine plus connu pour ses qualités d’homme médiatisé dans l’hexagone que pour ses talents de pianiste) se pique à vouloir organiser un festival de jazz chez lui, à Chamonix. Après quelques bouteilles de Chasselas, notre programmatrice obtempère. La première mouture expérimentale a lieu fin juillet, en pleine semaine. L’idée: des concerts gratuits, mais situés de telle manière que le public doive impérativement d’une part se confronter à la beauté du lieu, d’autre part contribuer à la santé financière de la station de Haute-Savoie. On voulait prendre part à l’expérience à 100%, mais vous savez ce que c’est. Les longues vacances d’été se transforment en 2 semaines coincées par-ci par-là, qui se transforment en 3 grasses matinées. On a malheureusement pas eu le temps de voir plus, mais ce jeudi 29 juillet, on y a été.

On était pas encore partis qu’on savait déjà que ça n’allait pas se passer vraiment comme on l’aurait voulu. Initialement planifié à 11h, le concert de Malcolm s’est vu largement repoussé dans l’après-midi, réduisant à néant nos chances de pouvoir rester là-haut suffisamment longtemps pour le voir. Un aller-retour, un seul concert. Du coup, on s’autorise la 4ème grasse matinée de l’été, et on se met en route un poil plus tard.

Quand on passe dans les fendants, on sait pas trop à quoi s’attendre là-haut. Le ciel semble bien parti pour nous tomber sur le crâne, et comme personne de notre fière équipée n’a la moindre idée de l’organisation logistique du truc, on nage dans l’inconnu le plus total. Heureusement qu’on a de la musique de qualité pour nous aider à garder le moral dans la voiture, et qu’on évite les pièges des vendeurs d’abricots importés d’Ouzbekistan vicieusement nichés sur les bas côtés.

Quand on arrive en station, la météo n’a pas vraiment l’air de vouloir nous foutre la paix. D’expérience il doit y avoir quelques montagnes assez hautes là-autour, mais on les voit pas vraiment. Un coup de fil à Carine nous renseigne un peu plus avant: ce qu’on vise a bel et bien lieu, simplement un peu plus à l’abri que prévu. Mine de rien, on doit quand même s’embarquer dans un traclet pas franchement bon marché, qui fait office de ponton d’embarcation à destination de la planète jazz.

Allons bon. On avait l’habitude de voir des concerts au bord d’un lac, nous voilà au bord d’une mer de glace. Et pas n’importe laquelle, vu que le concert a lieu à Montenvers: nom absolument pas inconnu de tous les alpinistes qui partent pour le sommet du Mont Blanc, et qui est également celui d’un hôtel restaurant qui borde le plus grand glacier d’Europe. Excusez du peu.

Parce que quand même, si on se farci 3 heures de route et 1 heure de crémaillère dans la journée c’est quand même pas pour rien. Carine nous a satellisé à cette hauteur une formation venue de Londres, qu’on a juste juste pas réussi à caser dans notre grille de 2010: Portico Quartet, déjà détecté par nos services secrets depuis belle lurette, et balisé plutôt en fluo genre « attention génie » à moult reprises. Ils auraient dû jouer dans un cirque de glace, mais vu la roye et les orages à répétition (et pas franchement conciliants à une telle altitude), on les a repliés sous un auvent à l’arrivée du train. Une demie-heure de délai, et roulez jeunesse.

Gelés, les anglois.

Ils ont empruntés à la va-vite les vestes de ski des responsables du domaine, et emmitouflés dedans ils essayent tant bien que mal de se réchauffer et de faire abstraction. Mais finalement, ça va avec. C’est le concert le plus haut qu’ils aient jamais fait de leur (encore) brève carrière, l’annoncent presque comme une excuse de souffler dans leurs mains entre chaque morceau. Une particularité du groupe: la rythmique est renforcée par un joueur de Hang, cet espèce de steel drums retourné qui ressemble à un wok cabossé. Importé au compte-goutte depuis les lointaines contrées dans lesquelles il est fabriqué à l’abri des regards indiscret (Berne), cet instrument commence de plus en plus à faire parler de lui. On en voit sur scène aux côtés des Young Gods par exemple, et dans le cas présent l’idée est de donner tout à la fois un renfort mélodique et rythmique aux compositions.

C’est un petit peu devenu la marque de fabrique de Portico Quartet, leur argument médiatique. C’est dommage. Il faut pas oublier d’écouter un peu ce qu’ils font aussi, et de là comprendre ce qui les intéressent dans le Hang. Tout tient en équilibre entre eux, et la hauteur du concert donne presque le vertige quand on se plonge dans les longs morceaux calmes. Laissant de côté des structures rigides où les soli se répondraient ou s’enchaineraient, ils préfèrent une évolution purement collective qui laisse toute la place nécessaire à une créativité de l’instant. Le résultat est étonnamment homogène, et on en ressort lessivé comme après une bonne séance de médiation contemplative ou d’introspection mentale (une bonne sieste, quoi).

Nick Mulvey joue du Hang en veste de ski (photo de xurxx)

Le concert dure une bonne heure. Le public est panaché: il y a ceux qui sont venus pour, il y a le staff qui est dedans depuis 3 jours (les bienheureux), il y a les alpinistes tout en cordes et en piolets qui sont contents d’avoir quelque chose à faire par ce mauvais temps, il y a les indiens qui sont venus voir le plus grand glacier d’Europe, il y a Carine qui plane 3 mètres au-dessus du sol, et il y a André Manoukian, qui remercie le groupe après sa prestation en disant que cette musique a été faite pour cette montagne. Singulier compliment si on se souvient de la banlieue de Londres de laquelle ces quatre garçons dans le vent sont issus, mais n’empêche: si les morceaux de Portico Quartet se lovent aussi bien dans ce cirque montagneux rigide et froid, c’est probablement parce que l’instant du live et le contexte présent offre une tournure particulière au son façonné. C’est surtout aussi dû à l’intelligence de programmer ce groupe-ci à ce moment-là et à cet endroit. Parce que si, sur la Place d’Armes, le regard des artistes s’échoue sur la vague des spectateurs assis devant eux dans le Chapiteau, les londoniens eux ils ont joué huitante minutes face à ça:

Et c’est pour ça qu’on l’aime, Carine.

Posté par Bureau
jeudi 5 août 2010
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Blabla

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