Il est parfois dit que le festival de Coutances est celui se rapprochant le plus de Cully, par son esprit et sa sympathie. La pertinence d’une telle assertion imposait de devoir être vérifiée par un constat visuel, sur place, sous les pommiers et la pluie. Ces deux derniers éléments sont peut-être les emblèmes essentiels de la Normandie, tout du moins dans l’image que l’on s’en fait d’ici. Force a été de constater que, d’une part, n’étant pas motorisés, nous n’avons pas pu découvrir la campagne de Basse-Normandie, et d’autre part, l’aura du festival rayonnant encore probablement autour de nous, nous n’avons vu que le Soleil.
Nous sommes donc partis, Carine et moi, surchargés de nos habits « spécial-déluge », prêts à en découdre avec les Tempêtes atlantiques. Quatre heures de train, arrivée à Paris, rencontres multiples et variées, prise de position vers la Bastille, puis direction Marais. Un quartier « hype », où les boutiques croisent les cafés branchés, et où l’on a pu découvrir un tout nouveau Centre Culturel Suisse. Le CSS (pour les intimes) accueille à présent une libraire centrée sur l’art helvétique, et bien que nous n’ayons pu trouver un exemplaire de « Cully Memory », le lieu s’est avéré charmant, sans doute grâce à l’accueil d’un de ses directeurs qui nous a présenté l’exposition en cours avec intelligence et passion. Malgré le peu d’affinité que j’ai pour les arts visuels, je suis toujours fasciné de voir à quel point j’apprécie autrement une exposition lorsqu’elle m’est présentée par un professionnel, et à quel point il devrait en être ainsi pour tous les arts, à chaque fois. La musique est totalement différente à écouter lorsque l’on est musicien, producteur, journaliste ou simple mélomane, et toutes ces expériences devraient être communiquées pour véritablement comprendre ce qu’il se passe, lors d’un concert. Trop dur, trop compliqué, le problème est peut-être la simultanéité des actions requises: comment expliquer la musique et comprendre l’explication en même temps que l’on doit ressentir les choses et les vivre en connaissance de cause ? Le drame de la musique est peut-être liée au fait que tout le monde puisse avoir un avis (comme les trous du c..).
Quoiqu’il en soit, nous n’avons pas atterri au CSS par hasard, puisque nous y avons retrouvé notre ami Tobias Preisig (et bien sûr Stefan Rusconi, André Pousaz et Michi Stulz) qui donnait un concert dans l’endroit. Salle bien remplie, étonnant vu l’endroit et la réputation de Tobias à Paris – peut-être que le CSS est en train d’acquérir une renommée importante dans ce créneau – mais toujours est-il que le froid public français a réservé un bon accueil au jeune violoniste. Découvrez-le vite en concert près de chez vous, il le mérite. Comme dans Astérix, cette histoire s’est bien entendu terminée autour d’un banquet convivial dans un resto libano-brésilien (caïpi et mezze) à une heure indécente.
Le lendemain, départ en fin de matinée gare St-Lazard pour Caen, Bayeux (et sa tapisserie), Saint-Lô, puis Coutances. Gros village de plus de 9000 habitants, on l’imagine volontiers triste et abandonné en hiver (tiens, tiens…), sous la pluie battante, un chien hurlant au loin, dans la pénombre d’un jour finissant avant d’avoir véritablement commencé… mais non, gros bourg plein de vie, plein de voitures et de stands, d’affiches violettes, des gens souriants, un chauffeur moustachu (fils improbable de Tom Selleck et Magnum), dont on retiendra l’anecdote essentielle qu’en tant que directeur d’école, il a demandé son transfert en Basse-Normandie pour pouvoir être bénévole au festival. Hyper bien.
On vient nous chercher, on nous amène à l’Hôtel où nos chambres sont réservées, on nous amène sur le site du festival, la classe. Des bureaux agités, des téléphones qui hurlent à tout va, des journalistes pressés, des badges qui virevoltent au gré des mouvements incessants de bénévoles sur-motivés, on y est, et on y est en touriste. Alors on attend, on n’est pas pressés, on se renseigne, qu’est-ce qui est où, qu’est-ce qu’il y a de bien par là, où est-ce qu’on peut manger, boire un verre, on devient des festivaliers et on se pose mille questions que l’on tient pour évidentes à Cully, alors on apprend à ne pas savoir. On découvre la communication somptueuse de Jazz sous les pommiers, les imprimés fort bien réalisés, et… les badges écrits à la main. Au fait, les concerts, c’est où ? Juste là, à deux minutes, c’est petit, agréable, on s’y retrouve tout de suite, et on y va tout de suite.
Matthew Herbert Big Band: 4 sax, 4 trompettes, 4 cuivres divers, piano, basse, batterie, un chef d’orchestre, une chanteuse, et les machines de Matthew. Hallucinant à voir. Une énergie folle, la nana perchée sur ses immenses talons donne envie d’arracher les sièges du théâtre pour danser avec elle, les compos sont terribles et tout le monde joue. A dégonfler des ballons, à déchirer des journaux, à souffler de travers, ils s’amusent. Sauf le batteur. Un regard intense, foudroyant et infatigable le lie au chef. Il réagit à la milliseconde, l’air devient solide entre les deux. Pendant ce temps, Matthew fait des boucles, repique la voix de la chanteuse, celle du public, celle des journaux qu’il froisse, et s’amuse, encore et encore. Whow. Un grand moment de fun. Comme mise en jambe sous les pommiers, c’est plutôt réussi.