Je ne crois plus que c’est un secret pour personne, Plaistow, on est fans. Jean-Yves vous l’a dit sur scène juste avant le concert, l’histoire d’amour entre ce trio de Gnève et notre festival a commencé l’année passée, quand ils ont retourné le Sweet Basil et qu’il était clair qu’on leur laisserait cette année une fenêtre à disposition dans la programmation du IN. C’est chose faite, et les voilà qui profitent de la formule « Pour cent culturel Migros » pour une soirée-package de concert avec Manu Katché. Et là, c’est le drame.Forcément on était au premières loges. Carine s’étrangle un coup, et nous revoilà propulsés sur la planète Plaistow, me revoilà ébahi devant ces trois gaillards qui m’avaient déjà laissé baba l’an passé, puis au Onze+ en octobre. Sauf que là, c’est du puissance dix. J’avais jadis théorisé que « ces mecs ont tout compris », j’étais en fait assez loin du compte: ces mecs ont compris des trucs qui sont hors de notre portée. Ils reformulent le monde à chacune de leur prestation, puisque chez eux il n’y a pas un concert qui ressemble moins à un autre concert. On connaît, on reconnaît leurs compos, on ne peut pas pour autant saisir leur musique. Elle flotte au-dessus de nous, elle nage en télépathie entre eux, ils la happent au passage et en font la concrétisation d’une idée fugitive et immédiate qui se redéfinit elle-même. Un truc de fous. Ils réinventent à peu près l’histoire de la musique au moindre frottement de peau ou de corde, au moindre grésillement bruitiste. Une projection vertigineuse dans un univers exigeant, qui mérite une attention irréprochable, à défaut de passer à côté, ou pire, d’en rire. « J’ai trouvé pas mal, mais peut-on vraiment appeler ça du jazz ? » qu’on a entendu à la sortie. « Argh. » répondrions-nous. Une heure à ce régime, à prendre part à une proposition qui dépasse de très loin la notion d’un concert et qui met à contribution toute notre faculté de remise en question, ça incite à l’occision concise.
Et quoi ? L’espace utilisé par le batteur et le bassiste sera laissé béant par la tête d’affiche de la soirée. Un trou énorme, symbolisation dramatique de l’éloignement des musiciens, enchaîné chacun de son côté dans des structures frigides en attendant sagement le moment de commettre son solo. Ou plutôt non, un trou réservé au défilé d’invités plus ou moins bienvenus qui pour la plupart n’ont pas su que faire pour pimenter la chose.
Contraindre un public tordu au tube cathodique à la répétition d’une même tonalité étiré sur un rythme insoutenablement lent, ça c’est intéressant, par exemple. Le jazz d’ascenseur, un peu moins.
Merci d’avoir choisi Katché Airlines. Nous survolons actuellement Cully. La température est de 15°. Un minibar est à disposition au milieu de cet appareil…