Samedi, j’ai fait un truc qui arrive même aux meilleurs. Sauf que les meilleurs, eux, en général c’est à Villeneuve qu’ils se réveillent, et pas au milieu du Napf. J’ai donc visité Hüswil, c’est pas la peine, rien à voir. Heureusement que l’auto-stop fonctionne toujours aussi bien et que je peux revenir en arrière sans avoir à attendre le retour du train, vu que là-bas il y en a un toutes les 50 minutes, quand même.
J’ai donc juste droit aux dernières gouttes de Vera Kappeler et de ses deux comparses. Crotte. Crotte, parce que même si je les ai déjà vu sous le Chapiteau, et même si je les ai revu à Berne entre-temps, ça m’aurait fait plaisir de repasser plus que 10 minutes dans ces mondes aux ambiances toujours si imagées, si magiques et si fascinantes que la bâloise crée sur son piano ou sur son petit orgue marrant. Toujours est-il que j’ai largement le temps de me rendre compte d’une chose: l’accueil du public est incomparable aux deux fois précédentes: beaucoup plus enthousiaste et communicative, la salle a l’air de transcender la pianiste qui joue beaucoup plus délié, et qui transmet ça immédiatement à ces messieurs pour le meilleur qu’il soit. Fertig.
Le deuxième rendez-vous de l’après-midi, c’est ce très fameux concert de John Scofield. Très fameux, parce que précédé à mes oreilles par une réputation assez lourde à assumer: j’ai entendu du très, très moche sur son dernier album, sur sa nouvelle formation et sur une éventuelle dérive à la pop mièvre et sirupeuse. Voyons voir…
Bon oui, c’est sûr, ça ressemble difficilement à du Scofield. Mais très honnêtement pour moi, pour mon état, pour un quatre heures de l’après-midi et pour un milieu de festival de jazz pointu-couillu, ça m’a plutôt fait du bien aux neurones. Maintenant, c’est clair que le style est difficile à avouer: il fait du gospel, notre cher lascar, du bien envolé avec des structures on ne plus plus simples et répétitives. Le seul hic c’est que son clavier joue bien mieux qu’il ne chante, et la sauce a de la peine à prendre parce que ça reste du blues assez banal, avec des jolis soli de gratte au milieu. On aurait apprécié quelques croûtons à l’ancienne au milieu de cette nouvelle soupe, mais finalement il a l’air de prendre son pied sans avoir à réinventer la roue, et passé l’aspect un peu Blues Brothers exubérant on y voit un joli retour à la simplicité juste pour le plaisir de faire de la musique. Allez, pour le rappel je me lève et je vais dandiner du cul avec les deux jolies staffettes que je connais et qui restent vers la porte latérale, par là-bas. Swing it !
Solide mi-temps bouffe. Sur conseil des locaux je m’envoie l’exhaustif d’une barquette de poulet frit et son obligatoire lit de frites grasses sur lequel elle se vautre. J’en aurai besoin, two more to go.
Le premier concert de la soirée promet le retour de Lionel Friedli derrière les fûts, qui s’offre fait une belle journée de travail bien complète. Cette fois c’est pour le trompettiste valaisan Manuel Mengis qu’il officie, au sein de son projet Manuel Mengis Gruppe 6. En les voyant arriver sur scène, je trépigne. Le genre de formation que tu vois, et tu sais immédiatement que tu vas passer un bon moment, rien qu’au look. Ils jouent cinq mesures du premier morceau, et je finis d’être séduit. Du bon crossover de derrière les fagots, les jeunes, exactement ce qu’il me fallait. Notre Lionel qui avait presque tout fait par caresses en douceur l’après-midi ne lâche pas ses deux bouts de bois, et envoie du 4/4 aussi lourd que le poulet sus-mentionné avec un bonheur difficilement trahissable. À ses côtés un paradigme de bassiste, le genre de mec qui aurait jamais pu jouer d’un autre instrument dans sa vie parce qu’il est trop grand, il a trop de cheveux et des lunettes trop marrantes. Et pour une section rythmique de grande classe, c’est le minimum exigé. Parce qu’en face les cuivres se défendent drôlement bien, le guitariste fait bien attention de ne pas se faire oublier, et la scène se transforme en un joli champ de bataille où on se tire dessus à boulets croisés. Belle prestation, qui a l’intérêt tout particulier de présenter des compositions d’une longueur qui dépasse la norme, et qui nous laissent tout le temps de divaguer et de suivre un solide propos narratif du début à la fin en nous entraînant un peu partout, y compris dans les montagnes valaisannes, puisque l’auteur y est guide à ses heures perdues. Forcément. J’ai pensé au Sacre du Tympan, j’ai pensé à Lucien Dubuis, j’ai pensé à tous ces gens qui font que j’aime le jazz et que je prends mon pied en écoutant un concert. Comblé !
Il faudra encore attendre un petit peu pour aller me finir à l’excédent de décibels dans le « Late Spot », puisque le 4ème concert de la journée m’attend. J’ai cette douce sensation que si je reste dans mes rangs obscurs favoris (au plus près de la régie, toujours !), je risque les attaques de paupières à peu près aussi gros qu’en allant voir un film de Marguerite Duras. Alors je vais par pure curiosité voir un peu plus devant au cas où, et je me dégotte une petite place aux oignons qui me met tout juste hors de portée des photographes, mais d’où il me sera difficilement possible de rater une miette de ce qui se passe sur scène.
Oh la bonne idée.
Oh que c’était bien.
Je fais la connaissance avec deux grands monsieur, Marty Ehrlich auX saxophoneS, et surtout Ray Anderson au tuba, qui va mener le reste de la soirée avec un brio dont je me suis toujours pas vraiment remis. Rien de tel qu’un bon pépin de micro cravate pour mal commencer un concert mais décontracter par un humour anglais de rigueur à peu près tout ce qui bouge dans un rayon de 60 mètres, ses compères, l’ensemble des techniciens, du staff et au passage le public, et on y va pour une heure et demi de jazz de grande, grande classe.
Cet adjectif, j’en avais largement abusé pour un festival pas trop mal organisé à l’est de Lausanne vers fin-mars début-avril, et j’étais assez décidé à le lui réserver, mais là, je suis dans l’obligation de me répéter: c’était juste la classe.
Définitivement, le dialogue tuba-saxo fait de jolies choses, et quand la section rythmique assure (et pas qu’un peu), on risque fort de frôler le génie. On l’a plus que frôlé, on s’est vautré dedans jusqu’aux dernières miettes de leur virtuosité. Tout colle à merveille, et même si ma préférence est allée quand même du côté des compositions de Anderson, nettement plus facile à appréhender en cette fin de rude journée, l’ensemble mérite respect et standing ovation. Ça tombe bien, c’est ce que le public fait, pour la première fois du festival. Une preuve !